De retour dans les Vosges du Nord pour aller à la découverte d'une très jolie ruine, qui est actuellement en consolidation et même en reconstruction par une association jeune et dynamique. Laissée à l'abandon, la végétation gagnait peu à peu du terrain et détruisait lentement la forteresse. Des arbres poussaient dans l'enceinte et faisaient tomber des pans entiers de murs.
C'est par une belle journée ensoleillée que je gravis en quelques minutes, le sentier menant à la ruine. Elle est construite sur la pointe méridionnale du Fischerberg (alt.380m) et jouit d'une vue très dégagée sur une grande partie des sommets de la région.
On ne sait pas exactement quand le chateau du Schoeneck a été construit, ni qui en est le commanditaire mais la première fois qu'il est mentionné dans les textes, c'est en 1287,en étant aux mains de l'évêque de Strasbourg, Conrad von Lichtenberg.
Carte IGN : 3814ET
Le vaisseau du grès nous apparait derrière les arbres dépourvus de leur feuillage. C'est un des avantages de visiter les châteaux en hiver : pas de végétations qui cachent les pierres ni de morssures de tiques à craindre.
Quelques pans de mur sont les seuls vestiges du rocher face à la montagne. Sur plusieurs sites de la toile, on peut lire que ce château a été édifié dans le but de déloger des brigands sévissant dans la région... cela me laisse sceptique. Le coût d'une telle construction serait disproportionné par rapport aux larcins que pouvaient commettre les brigands...La position de cette place forte nous renseigne plutôt sur sa mission militaire : surveiller et barrer les passages entre les vallées du Steinbach et du Schwartzbach.
La pièce maîtresse de cette forteresse est sans doute, avec cette belle frise lombarde ornant le mur, cette bretèche datant du XVIème siècle (tourelle en encorbellement) aussi appelé poivrière. Elle assure la protection de cette porte à arc brisé en disposant d'un trou à sa base pour le tir vertical et d'une fente pour le tir de face. De 1545 à 1547, le château subit tout une série de modifications importantes notamment des adaptations aux armes à feu et à l'artillerie.
En effet, l'assaillant est accueilli par 2 imposantes casemates qui dissimulent des couleuvrines derrière chaque bouche à feu. C'est Eckbrecht de Durkheim qui effectue ces modifications tardives.
Le grand bastion d'artillerie, semi circulaire, abrite des canons de fort calibre et son architecture indique un sytème de ventillation permettant d'évacuer les gaz de combustion lors des tirs. Pendant la Guerre de 30 Ans, la forteresse assurait la protection des habitants de Woerth, Morsbronn et Windstein qui fuyaient les exactions des Suédois. Dans les premiers temps le seigneur des lieux fit monter la garde aux paysans à titre de corvée puis il leur demande de participer au paiement des vivres et des armes de la garnison. Suite à cela, les civils déjà démunis de tout, quittent les lieux.
Cette tour d'artillerie est également dotée de latrines en encorbellement (en haut à gauche). Sur le mur entre les 2 tours on aperçoit une seconde poivrière, moins connue.
Une 3ème a été découverte lors des fouilles. Elle protégait une bouche à feu dans un mur qui s'est effondré lors du démantèlement du castel. Les objets trouvés lors des fouilles des caves voutées ont été déposés au musée de l'archéologie de Niederbronn les Bains.
4 brouettes flambant neuve attendent les bras musclés des bénévoles de l'association Cun Ulmer Grün créée en 2000 pour la sauvegarde du Schoeneck. Les travaux entrepris par l'association sont considérables et d'année en année on en voit la progression. Mais il reste encore beaucoup à faire.
Malgré la présence de ces bénévoles, la ruine perd de nombreux blocs tous les ans. Le chaînage d'angle de ce mur s'est écroulé récemment.
Le Schoeneck, comme beaucoup de châteaux dans les Vosges du Nord est de type semi-troglodytique et l'étroit rocher a été utilisé à son maximum.
Ces fenêtres romanes à banquettes sont, avec les vestiges de la cheminée juste en face, les seuls restes du palais seigneurial. Les trous et rainures permettaient d'occulter les fenêtres de l'intérieur, la nuit ou en hiver ou en cas d'attaques. Le château a été détruit et reconstruit à plusieures reprises. Une première restauration a été entreprise entre 1375 et 1390. Puis une seconde en 1517, après que le château a été cité "délabré". En 1663, il est détruit dans un incendie de forêt mais il est à nouveau remis en état.
Le Schoeneck est à ma connaissance le seul château faisant appel à la technique des tenons et mortaises en queue d'aronde pour maintenir les blocs de pierre entre eux. On en retrouve bien de semblable au Dreistein, près du Mont Ste Odile, mais ces blocs là ont été arrachés au proche mur païen par les constructeurs médiévaux.
Sur ce dessin détaillé de Christophe Carmona, nous avons une vue d'ensemble actuelle de la ruine. On voit nettement que le donjon, à l'extrémité du rocher a été rasé jusqu'à la dernière pierre. Il symbolisait la puissance du seigneur et il fallait donc l'anéantir. Cette tâche a été confiée par Louis XIV à Joseph de Pons et de Guiméra plus connu sous le nom de Baron de Montclar, lieutenant général, commandant en chef de l'armée d'Alsace. Il est assisté par Mélac, dont la mission est de détruire le Palatinat. Il est d'ailleurs connu pour sa brutalité par les habitants du Palatinat et depuis des siècles, Mélac est synonyme d'incendiaire meurtrier (Mordbrenner). Lorsqu'on se promène dans les rues des villages Palatins, on voit souvent le nom de Mélac inscrit au-dessus des niches de chien, Leur propriétaire bâptisant aujourd'hui encore leur molosse de ce nom terrible...
C'est donc en fin d'année 1680 que les mineurs des troupes Françaises firent sauter le Schoeneck pour éviter qu'il ne serve de refuge ou camp de base aux soldats Germaniques.
Les caves ont été mis à jour dernièrement, enfouies sous 4 à 5 mètres de terre. La porte a semble t-il été élargie pour laisser le passage à des chariots volumineux. Les blocs de pierre empilés attendent un improbable réemploi.
La belle tour octogonale a été récemment consolidée et jointée. Elle assurait la protection de la partie basse du château, du côté de l'attaque.
La ruine a tout de même gardé un certain cachet et même une allure romantique, attirant chaque année de nombreux visiteurs. Lors des journées du patrimoine, des visites guidées sont organisées par les membres de l'association en costume d'époque.